SNPB : 20 ans !

LA SOCIÉTÉ NATIONALE POUR LE PATRIMOINE DES PHARES ET BALISES A VINGT ANS EN 2022 : LE BEL ÂGE

2022 marque le vingtième anniversaire d’une présence continue de la SNPB au chevet du patrimoine des phares et balises. Notre long cheminement au militantisme convaincu a longtemps évolué dans un environnement pas du tout enclin à reconnaître officiellement que le corpus des phares et balises détenait tout le potentiel d’un patrimoine maritime national à préserver. Le temps a fait son œuvre.

Vingt ans est une étape. L’occasion de dresser le synopsis de ces années d’action, celles de la naissance d’un patrimoine, objet de déni ou d’appropriation mercantile, cause de ralliements tardifs et intéressés, mais sujet de passion et d’engagement pour les pionniers de sa défense. En relater le déroulé minutieux serait un exercice hors de ce propos plus modeste qui souhaite montrer comment une cause juste n’est jamais perdue pour peu que sa flamme résiste au temps.

Prêcher dans le désert ? Pas tout à fait …

Fondée en 2002, la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises (SNPB) écrit l’histoire de ce patrimoine depuis ses débuts. Pionnière de la notion de patrimoine des phares elle a toujours soutenu que ces monuments procédaient de la mémoire maritime du pays, ce qui à l’époque, passait pour incongru. Une anecdote éclairera ce propos. Quelques mois après la création de la SNPB,une première entrevue fut enfin obtenue avec les instances nationales en charge des phares. Cette rencontre restera une expérience d’anthologie au cours de laquelle la distanciation technocratique fut toute aussi intense que la douche suscitée sur notre enthousiasme. Nous faisions face à un monologue embrouillé à dessein, cherchant à nous convaincre que les phares n’étaient en aucun cas du patrimoine mais de simples instruments d’un service public technique et qu’ils étaient parfaitement entretenus. Si l’on fait fi de l’histoire, Versailles n’est en effet pas plus qu’un assemblage de matériaux. Nous avons fort heureusement par la suite rencontré de nombreux acteurs et usagers du balisage reconnaissant aux phares cette dimension patrimoniale. Les langues se déliaient et certains soutiens, issus du service, choisissaient l’anonymat eut égard au climat délétère de l’époque que faisait régner un certain discours officiel.

D’autres pensaient que nous prêchions dans le désert. Or les graines étaient semées et il en aurait fallu davantage pour nous convertir à l’abandon de notre projet que ces Cassandre qualifiaient d’irraisonnable sinon de fou. Il s’agissait en effet de faire reconnaître les phares comme patrimoine et provoquer les circonstances qui mèneraient un jour à leur sauvegarde. Autrement dit, devenir acteur de l’évolution patrimoniale de ces phares, tous empreints d’un pan important de l’histoire maritime de notre pays. Un choix au long chemin sans aucun doute, mais la détermination est un puissant moteur.

Une force de frappe

Alors que nos découvertes et révélations montraient à quel point l’écart était grand entre réalité et discours autorisé, l’aura de la SNPB grandissait et les soutiens se manifestaient de plus en plus. Les médias, la presse écrite notamment, jouèrent un rôle essentiel dès les débuts. Ils restent un levier puissant et déterminant. Plus tard, l’opération «Lumière sur Tévennec» sera bien évidemment le déclencheur de l’intérêt porté par un cortège de médias de toutes catégories, de France comme de l’étranger. Au cours de ces années, reportages, interviews, articles, et vidéos, signés par les plus grands médias, ont sensibilisé plusieurs millions de spectateurs et lecteurs. Dans ce sillage médiatique, de nombreuses personnalités sont venues soutenir la démarche de la SNPB et restées à ses côtés. Tout comme le grand public qui a participé à cet élan d’intérêt depuis les origines. Des artistes reconnus, aux supports variés, ont trouvé l’inspiration à Tévennec, démontrant ainsi la justesse de notre programme de résidence sur un phare en mer. Notre prétendue utopie est désormais devenue réalité convoitée. Ces soutiens et médias, de toute nature et jusqu’aux plus renommés, représentent désormais une grande force de frappe au service du patrimoine des phares et balises. Car une cause juste ne saurait grandir à l’ombre de ses contempteurs.

Affiche 20 ans

La terrible saga d’un vaste patrimoine

La SNPB a dû défendre ses objectifs et pour cela adopter des positions nécessairement contrastées face à une opinion officielle adepte de la célèbre rengaine «tout va très bien Madame la Marquise». Délivrer le constat de la vérité peut conduire à endosser le rôle de grain de sable. Certaines réunions furent cordialement glacées et force est de constater que la défense du patrimoine n’attira pas que la bienveillance à notre égard. Énoncer ce qui manque dans un ensemble patrimonial dont l’inventaire n’est pas suivi ne pouvait plaire à ses administrateurs. Vouloir comprendre les « disparitions », voire en chercher l’origine, engendrait rarement la sérénité des débats et ouvrait les horizons infinis des méandres administratifs où s’évanouissaient fort à propos les requêtes. Parmi de nombreux dossiers, citons l’invraisemblable disparition de l’entier mobilier du phare du Planier (Marseille) que nous retrouverons des années plus tard en vente publique à Paris. Au-delà de son aspect rocambolesque, cette affaire relevait d’une enquête et assez probablement du pénal. Si suite lui fut donnée elle ne nous est jamais parvenue. Comment savoir ? Quand on appartient à la société civile et si l’on comprend que cette appellation est un euphémisme autorisé pour signifier que l’on est pas du sérail, il ne reste qu’à s’excuser pour l’outrecuidance de ses questionnements. Ou faire front.

Ce que nous fîmes en 2003 par exemple pour sauver le site du phare du Stiff (Ouessant), promis à une vente à la découpe par les Domaines à la demande du service des phares. Les deux maisons de gardiens concernées dans cet ensemble exceptionnel furent, sur notre intervention, attribuées au Conservatoire du Littoral. Le site échappait à son démembrement. Suite au Grenelle de la mer le phare sera transféré au Conservatoire et désormais l’ensemble du site, dûment restauré par ce nouveau propriétaire, est un des hauts lieux du patrimoine des phares ouvert au public. Bien entendu, si nous dénoncions l’attitude du service des phares c’est qu’il en était le gestionnaire direct mais en réalité sa marge de manœuvre était plus qu’étroite face à l’assujettissement aux règles d’une administration pléthorique. Il reste que l’on peut toujours y apporter plus ou moins de zèle. Un conflit d’appréciation bien connu.

Telle est la terrible saga d’un vaste patrimoine. C’eût pu être une affaire bien menée car le fonds était riche et surtout encore très présent, tout juste exhumé d’un temps qui relevait pour partie de l’ancienne vie des phares. Ce fût un désastre orchestré par l’absence de suivi attentif et minutieux dont firent preuve dogmatisme et pesanteur structurels. Au fond, ce qui est arrivé au patrimoine était prévisible car les conditions de ses tribulations étaient réunies et leurs prémisses perceptibles, sous réserve d’y porter une attention éclairée. Déjà le déclin avait été annoncé par la mutation de l’ancien service des phares, important et jouissant d’une grande autonomie, qui fut réduit au rang de bureau sur l’organigramme ministériel. L’automatisation systématique des feux dès les années 80 fut aussi déterminante. En vidant progressivement les phares de toute présence, elle délaissait ainsi un matériel important qui, brutalement muté du service actif au déclassement, devint l’objet de concupiscences diverses et personnelles. Car l’automatisation des phares en mer suppose leur électrification préalable et donc la dépose de l’ancien système d’éclairage au pétrole incandescent, parfois l’ancienne optique. Ces pièces historiques aux matériaux de haute qualité, étaient parfaitement entretenues en état de service par les gardiens. Ces objets présentaient toutes les qualités pouvant attiser les envies. Il faut savoir que ces interventions furent la plupart du temps le fait de sociétés sous-traitantes titulaires de ces marchés et il faut aussi se demander qui pouvait bien avoir techniquement la capacité de délester un phare en mer de ses matériels pesants voire de ses meubles et boiseries. Il faudrait aussi évoquer tout ce que le service lui-même a dispersé et détruit sous les fourches caudines des tableaux comptables. Qu’un phare s’adapte à l’évolution technologique, rien de plus normal. Que cela se fasse sans le suivi attentif de son inventaire patrimonial ne peut être que préjudiciable.

Nous avons des années de notes, témoignages, documents divers sur toutes ces questions épineuses dont beaucoup irrésolues qui sont autant de sources illustrant cette situation et dont la compilation serait trop longue ici.

Persévérance

La SNPB, forte de ses membres et soutiens, a milité âprement toutes ces années pour faire reconnaître ces palais du littoral comme dignes d’entrer au panthéon du patrimoine de la France maritime. Mais que de temps et d’énergie, de démonstrations et notes auprès des diverses instances tant il est vrai que ce qui se conçoit suscite aisément réunions et mots pour le dire tandis que ce qui devrait se réaliser souffre de procrastination, syndrome d’une néoplasie administrative paralysante apte à torpiller les initiatives.

Il aura fallu attendre sept ans pour qu’en 2009, le Grenelle de la Mer, qui demanda à la SNPB d’apporter sa contribution, permette aux phares d’acquérir le statut de patrimoine. Du moins juridiquement, car les solutions concrètes avancées, quoique ayant l’heur d’avoir été formulées, ont manqué d’une vision globale et novatrice. L’inventif ne sort pas toujours du chapeau des grandes réunions. Au vrai, il convient de considérer que le patrimoine des phares n’est pas un patrimoine comme les autres car la fonction première de ces édifices est de rester opérationnels pour le service de balisage. Ceci induit une dichotomie, à savoir deux profils aux contraintes parfois divergentes pour un unique édifice, le phare établissement du balisage actif et le phare monument patrimonial. Le Grenelle de la mer, à l’instar de notre proposition, a proposé que la gestion des phares ne soit plus uniquement opérationnelle mais intègre une dimension patrimoniale (Engagement N° 103). Une proposition de bon sens et sans doute trop nuancée qui a plongé les deux ministères concernés, l’écologie à l’époque et la culture, dans un sourd conflit de compétences aux civilités de bon aloi. Une situation qui a quelque peu évolué au cours des dix dernières années alors que progressivement les phares devenaient monuments historiques. En réalité, au nom de la mission régalienne, autorité et contrôle sur ces édifices relèvent toujours du service du balisage.

Un militantisme au service des phares en mer

Le Grenelle de la mer scella la cause des phares à terre en les rendant à la visite. Alors que les collectivités, qui associaient enfin phare et patrimoine, en retirait dans l’enthousiasme les bénéfices, la SNPB comprenait que les grands laissés pour compte étaient les phares en mer, patrimoine dont tout un chacun s’accordait à le trouver exceptionnel, unique, fabuleux, emblématique, source d’inspiration, de mystère et de romantisme puissant, mais pour lequel aucun de ces admirateurs ne sut jamais s’engager d’une quelconque manière, fût-elle symbolique. Ces monuments se dressaient bien visibles en mer et tant qu’ils tiendraient debout la raison de leurs thuriféraires l’emporterait, préservant leurs prébendes attachées à ces nouveaux sanctuaires du patrimoine. Figures hiératiques d’un passé désormais romantisé à l’eau de rose et non de mer, les phares du large ont été la cible de spéculations soutenues par leurs contempteurs. Aussi folles qu’irresponsables pour ne pas dire grotesques, au palmarès de ces brillantes idées il y a le choix entre laisser la mer les achever, ce qui hélas eut lieu pour certaines tourelles historiques, et emplir les tours avec du béton pour qu’elles résistent. Ce fut le temps de nos zoïles, dont on ne peut que dénoncer les inconséquentes décisions qui affectèrent irrémédiablement le patrimoine de plusieurs phares en mer. On oublie pas que peu de temps avant leur classement, les phares en mer d’Iroise ont été la cible de campagnes de «travaux de nettoyage» radicaux. Tel ce feu, un beau jour de juillet 2013, au pied du phare de la Vieille, alimenté par des pièces de bois jetées au bas de la tour. Aux jumelles on voyait des parties de mobilier et lambris… Du patrimoine en fumée ? Tel ce jour au cours duquel le phare d’ Ar Men fut vidé sans ménagement des «saletés accumulées par des générations de gardiens» (sic). Du patrimoine aux ordures ? Des méthodes que l’on aurait cru d’un autre temps. Reconnaître ce qui peut devenir patrimoine est affaire de sensibilité subtile à ne pas confier à tous les.esprits. Débusquer le patrimoine vernaculaire n’est pas une question d’études. Reconnaître qu’une optique de Fresnel relève du patrimoine est d’une froide évidence. Sauver du feu une chaise cassée gravée au nom d’un gardien c’est vouloir conserver ce qu’il y a de plus marquant et rare dans le patrimoine, la trace du quotidien d’une vie écoulée. Depuis le Grenelle de la mer, plusieurs vagues de classement et d’inscription à l’Inventaire sont intervenues au profit d’environ la moitié des édifices remarquables. La dimension patrimoniale des phares prend progressivement sa place.

S’engager pour la sauvegarde d’un patrimoine maritime aussi exceptionnel et connu du monde entier fût dès lors l’objectif premier de la SNPB. Dans cette perspective elle signait en 2011 une convention d’occupation pour un phare en mer, Tévennec. L’objectif était double : restaurer le lieu pour l’ouvrir à un usage alternatif et l’ériger en emblème de la défense des phares en mer. L’un et l’autre ont été atteints hormis la restauration des lieux malgré un intense travail de préparation du dossier des travaux et la mobilisation d’entreprises mécènes. Cette autorisation fut retirée au dernier moment par l’administration désireuse de reprendre la main dans le cadre du plan concernant les phares en mer, sujet évoqué plus loin. Mais notre propos n’est pas ici de détailler cette période largement documentée depuis l’opération “Lumière sur Tévennec”.

Il faudrait aussi inscrire au tableau du militantisme les navigations, les démarches, réunions et conférences, les participations aux salons, colloques et festivals maritimes, les articles et publications qui ont jalonné toutes ces années pour porter la voix de la SNPB partout en France, des littoraux aux villes de l’intérieur, des publics passionnés les plus variés aux cabinets ministériels. Un itinéraire de propositions hélas contraintes par une époque adepte de la RGPP,* cette religion de « l’art de faire mieux avec moins ». La cause des phares, et singulièrement celle des phares en mer, devait rester affaire de passion et de large partage pour un jour émerger.

Vingt ans après…

Quoi qu’il en soit, notre action, désormais reconnue et suivie depuis vingt ans, devait un jour porter ses fruits. Toutefois lorsque le décideur est la puissance publique, tout projet doit d’abord entrer en phase avec ses choix politiques du moment, notamment ceux des finances publiques. Or il semble que la situation actuelle ait évolué favorablement.

Que l’on en juge. La fameuse rigueur budgétaire s’est muée en «programme d’action publique». On ne parle plus de « révision » mais « d’action ». La différence n’est pas uniquement sémantique. De rigueur, les choix financiers de l’État sont devenus relance budgétaire. La pandémie est passée par là. La création d’un ministère de la mer en juillet 2020, muni de compétences réelles parmi lesquelles la gestion des phares et balises a été déterminante.

Ainsi, avons-nous eu cette année la confirmation par le ministère de la Mer, convaincu par ailleurs par notre long militantisme, qu’il préparait un plan de restauration des phares en mer, doté d’un financement public pluriannuel. Son élaboration suppose une période de mise au point que notre impatience à le voir aboutir trouve légitimement longue. Néanmoins, nous appliquons un suivi régulier et vigilant à l’avancement de ce projet. Il est vrai qu’en matière de travaux maritimes l’échelle du temps, toujours longue, s’étire entre études préparatoires, financements et mise en chantier. L’histoire de la construction des phares en mer nous rappelle que parfois plusieurs dizaines d’années se sont écoulées entre un projet et sa réalisation concrète. Nous n’en sommes sans doute plus là et assurance nous a été donnée d’être informés dès la complétude de ce plan. Ce qui en toute logique, l’annonce remontant à mars dernier, devrait normalement être enfin annoncé dans les semaines à venir. Au reste, sachant que désormais la mise en avant du patrimoine maritime est une priorité ministérielle revendiquée, le paradigme de cette mise en valeur n’aura de cohérence qu’en assurant sa protection. Et si la SNPB est particulièrement fière de porter l’étendard du patrimoine des phares et balises depuis ses origines, c’est à ses membres et soutiens qu’elle le doit, souvent depuis les premières années.

Une aventure loin d’être achevée, tant s’en faut !

Au cours de ces vingt ans, la notion de patrimoine des phares et balises a pris forme, est devenue concrète et finalement s’impose de nos jours. Le champ d’investigation reste immense.

« La France doit pouvoir valoriser et s’appuyer sur son patrimoine lié à la mer, et mieux mettre en avant ces richesses trop peu visibles à l’échelle nationale »

précise le communiqué conjoint des ministères de la Mer et de la Culture annonçant la création d’une mission chargée de rédiger un prochain rapport dans ce sens. Le « patrimoine exceptionnel que constitue les phares recevra une attention particulière » poursuit le texte . De quoi nous réjouir. Nous ne pouvons que contribuer activement à ce que nous attendons depuis si longtemps et avons contribué à bâtir. Voici un programme qui s’annonce riche. Avec le programme de restauration des phares en mer, il faudra se pencher sur l’organisation de la gestion de ce patrimoine pour laquelle s’impose un modèle adapté à ses contingences, notamment celles liées à la mise en œuvre de la seconde vie des phares, dont Tévennec. Le devenir du patrimoine désaffecté du balisage actif constitue aussi un pan important qui méritera toute notre attention. Comme on le voit, notre devise “Sauvons nos Phares” a de belles années à venir.

Marc POINTUD Président de la SNPB

Chevalier du Mérite Maritime

Aller plus loin:

L’histoire de la SNPB année par année.

Le patrimoine des phares et balises

Nos phares un patrimoine inestimable à sauvegarder

L’affaire du phare du Stiff