Il était si beau ce vieux chantier…

Un conte de Noël proposé par Marc Pointud

Un charpentier de la plus pure tradition construisait des navires de pêche aux qualités reconnues. Il avait appris le métier auprès de ses pères dans le chantier familial. Ses méthodes ancestrales étaient éprouvées. Ses coques, aux lignes d’une efficacité parfaite à la mer, surgissaient sans plan si ce n’est parfois quelques traits au crayon gras au revers d’une chute d’aubier. Ce charpentier était, sans le savoir, dans la pure tradition empirique de la construction navale artisanale. Il était tout à la fois le bois de ses navires, leur créateur, leur père, leur médecin, mais jamais leur fossoyeur, comme l’attestait le tout proche cimetière de vieilles coques aux couleurs éteintes que chaque marée digérait un peu plus tandis que le portrait à l’aura tutélaire du fondateur trônait à la cimaise d’un hangar, rappelant le sacre du lieu. Sans doute le charpentier rêvait-il aussi de courbes bien faites et de retours de galbords aux lignes harmonieuses que ses puissantes mains calleuses effleuraient si souvent avec tant de délicatesse avant de décréter leur aptitude à la navigation. Tout cela était son quotidien, son biotope dirions-nous, mais sûrement pas du patrimoine. Sans épouse ni enfants ou congés -mais pouvait-il en être autrement ?- le charpentier travaillait ainsi, une éternelle clope roulée charbonnant à la lèvre inférieure. Toute sa vie était ici, au chantier.

Un terrain d’arrière-port d’échouage abritait ce haut lieu de la construction navale depuis le début du XXe siècle. Tel une aquarelle croquée par un navigateur illustrant une escale de son journal, le chantier donnait à voir quelques hangars, de bric et de broc assemblés, fruits d’ajouts successifs mais fort bien réalisés en bois noirci par des années de bitume. Tout cela avait belle allure et fleurait bon le coaltar, le bitord et les fragrances du bois débité. Un lieu préservé du temps, perché en limite de cette grève de fond de port, à un jet de pierre de l’église. Deux rails sortaient du premier hangar pour emprunter la pente sablonneuse de la plage, écrasés par le poids d’un long chariot auréolé de la gloire de presque deux siècles de lancements et mises à sec. Quelques yachts aussi avaient vu le jour dans cette Mecque du bois, dont un qui eut son heure de gloire méritée lorsqu’à son bord le père courut un Fasnet d’anthologie de l’entre-deux guerres. Sa place très honorable voisinait celle du vainqueur, un yacht dessiné par Stephens. À juste titre, ses lettres de noblesse tiraient fierté d’une expérience, d’un savoir-faire, d’un coup d’œil, en un mot d’une tradition qui avait permis de se mesurer avec panache à l’un des plus grands de l’excellence de la construction navale. L’autre hangar débordait, dans ses hauts, de monceaux de pièces de bois échafaudées dans des équilibres qui défiaient les décennies et les strates de poussière tandis qu’un immense et large établi se pressait le long du mur latéral, surchargé d’outils, fers et maillets à calfat, varlopes et autres basaigües. Le dernier bâtiment abritait des billes de bois débitées en plateaux ainsi qu’une resserre où s’entassaient cordages, goudron, peintures et toute une quincaillerie navale, non de plaisance, mais de ces agrès en fort galva prêts à affronter les rudesses du grand métier. Ce couloir, encombré et odorant, conduisait à une pièce toute à la fois bureau et salle à manger où trônait un gros poêle nourrit abondamment à la sciure et aux chutes de bois. Quelques pieux souvenirs de quatre générations tentaient d’égayer les lieux sans oublier que Notre Dame des Marins veillait à leur sauvegarde. Une petite chambre clôturait la visite de ce domaine intemporel qui avait eu la chance d’échapper à l’occupant et leurs zélés délateurs alors même que le chantier avait fourni par une nuit obscure de novembre 43 un canot à voiles à un commando anglais en retour de mission. 

Alors qu’au cours des années 70, intellectuels et autoproclamés du genre découvraient l’authenticité des traditions du terroir, survint un jour sur la grève du chantier un écrivain. La renommée de l’atelier et celle de son patron haut en couleurs étaient parvenues aux oreilles du plumitif. Ce dernier convainquit l’artisan de tout l’intérêt de restituer dans un ouvrage la tradition de la charpenterie navale, métier à l’époque en voie de disparition. Le livre une fois sorti, le charpentier devenu célèbre ne se lassait pas d’expliquer à ses visiteurs à grands coups de crayon sur des chutes de contreplaqué que son travail était issu de la tradition de la construction navale artisanale, que le savoir-faire des générations précédentes ne devait pas disparaître et que la construction en plastique envahissait tout. Il jouait son rôle de gardien de l’orthodoxie des gestes ancestraux et accueillait non sans fierté les approbations bien senties des spectateurs avant de dispenser quelques dédicaces.

Le charpentier et l’auteur ont ainsi contribué à travers leur témoignage minutieux et détaillé à la préservation de la mémoire d’un chantier hors d’âge, future source d’inspiration pour, qui l’eut cru, la renaissance du métier un demi-siècle plus tard. Une clairvoyante prospective certainement, mais cette vertu manque généralement aux décideurs publics. Car la suite du récit montre malheureusement qu’une guerre peut parfois être moins destructrice que l’appétit d’un élu convaincu que la vacuité de son mandat peut se mesurer à la grande Histoire. Rien n’arrête un projet que l’insensé voudrait oint de la grâce de Cendrillon car le vaniteux n’a pas conscience de son insignifiance pour se satisfaire d’une citrouille alors qu’il attendait un carrosse.

Au décès du charpentier, la municipalité reprit le terrain qui avait été loué à sa famille pour quelques francs dans les années 1900. Des pétitions s’élevèrent, militant pour la sauvegarde du lieu en l’état, désormais objet de patrimoine. Un repreneur fut même pressenti mais sans suite, la mise aux normes se révélant hors de prix et la municipalité n’ayant de toute façon aucune intention de conserver le chantier. La chanson du patrimoine n’atteint pas toutes les oreilles.

Un beau matin, des engins mirent à bas les hangars et nivelèrent le terrain. Ensuite asphalté, il devint une place zébrée de blanc et cernée de jardinières aux pétunias mauves et roses, rêve de tout élu sans ambition hormis celle de plaire à son électorat vieillissant. Le lieu, désormais sans caractère et aussi commun qu’un parking de supérette, aurait pu porter le nom du chantier, si un sursaut de ressenti patrimonial eût effleuré cette nébuleuse municipale. Que nenni ! Il n’en fut rien, tout au contraire. Imaginant sans doute qu’en accolant sa médiocre histoire au renom des plus grands cela transmettrait célébrité sinon gloire à sa propre petitesse, l’auteur de ce massacre urbanistique décida de le baptiser « Place François Mitterrand », loin d’imager ce que furent ces lieux ou le haut fait de résistance de l’épopée du commando anglais. Il advint par la suite ce que cette soif de modernité échevelée avait engendré. Un supermarché tant désiré s’installa à l’ouvert du parking. Non qu’il ne fut pas utile aux habitants, mais d’autres terrains ne manquaient pas ailleurs. Par miracle, cette implantation dota le bourg d’un rond-point garni de fleurs sans affecter les finances de la commune. Tout cela créant une fréquentation certaine, les élus, dans leur élan d’expansion dont ils se veulent les thuriféraires, décidèrent que le quai de la plaisance serait celui du front de mer du parking. Sable décapé, mur de béton élevé, pontons, anneaux, bancs, lampadaires, jardinières à nouveau, flèches peintes au sol, conteneurs à déchets, sens unique, boutique et office de tourisme, douches et bureau du port, toute la panoplie normative se déploya un peu plus chaque saison afin que cet endroit perde enfin tout caractère. C’était à qui aurait la proposition la plus étrangère à la nature maritime du lieu, empreinte qui résistait malgré tout un peu, géographie oblige. En Absurdie, d’un concours d’âneries ne peuvent sortir que des monstruosités.

Lorsque le petit train apparu, seuls de rares esprits affûtés perçurent les clameurs de la mémoire piétinée de tant d’années de tradition maritime.

TÉVENNEC, UNE RESTAURATION ET UN PROJET ATTENDUS

Cette série d’articles consacrés à la restauration de Tévennec est destinée à vous informer, que vous nous découvriez ou soyez parmi nos si nombreux soutiens déclarés en faveur de la restauration de Tévennec. Une information complète afin de percevoir les enjeux culturels et techniques que ce projet sous-tend. Une information sans détours pour permettre d’appréhender le déroulé de ce dossier et si besoin d’en pointer les inerties ou incohérences. Que de très bonnes raisons pour suivre ces articles avec détermination et, en toute connaissance de cause, apprécier le suivi de notre démarche.

1 : Qu’est-ce que Tévennec ?

Voilà une question qui peut paraître saugrenue. Mais apparemment cela ne semble pas évident même pour certains spécialistes.

Une maison-phare du large

Comme on le sait, l’édification d’une maison-phare sur ce caillou relève d’une erreur d’appréciation de la réalité des lieux par l’administration. Les déferlantes de l’Iroise ne semblent pas être parvenues jusqu’aux bureaux parisiens et la règle de l’époque selon laquelle un feu de chenal habité devait être une maison-phare s’est imposée. Seulement l’estuaire paisible d’une ria n’est en rien comparable à un îlot rocheux battu par la houle. Une architecture proche de celle du phare de la Teignouse (au large de Quiberon) eût été plus adaptée. Quoi qu’il en soit, cette bévue est devenue la raison même d’exister d’un patrimoine unique en son genre, Tévennec étant la seule maison-phare, et pour cause, qui défie le large depuis 145 ans solidement construite sur un récif.

Un statut modeste

Cependant toit et ouvertures, évidemment très exposés, ont souffert au cours des ans conduisant l’administration dans les années 60 à installer un nouveau toit en ciment étanché au brai bitumineux. Un toit toujours en service mais désormais une nouvelle fois dégradé et perméable soixante ans plus tard. Le choix de l’administration s’était fixé, comme il se doit, sur la meilleure efficacité et la plus grande résistance des matériaux au regard du coût des travaux. Un choix de raison sans recherche de luxe en raison de l’exposition aux intempéries et du statut modeste de cette maison-feu. De même, fenêtres et volets, plusieurs fois changés depuis lors, ont toujours été en bois, souffrant par conséquent des problèmes inhérents à ce matériau confronté à une humidité permanente. Nul doute qu’à l’époque de la construction s’il eût été possible de réaliser ces ouvertures dans un matériau résistant à l’humidité c’eût été fait. Des ouvertures en bronze par exemple, comme les hublots de navire. Certains phares en mer en furent d’ailleurs dotés. A l’évidence Tévennec ne méritait pas un telle dépense aux yeux de ses constructeurs.

Pas de luxe extérieur au large

Chaque époque utilise les moyens que les techniques mettent à sa disposition selon le budget qu’elle y consacre. Le degré de notoriété d’un bâtiment peut ainsi s’apprécier en fonction de la qualité, de la rareté ou, à l’inverse, de la médiocrité des matériaux utilisés pour l’édifier tout comme à travers l’attention que son propriétaire lui porte. Ce raisonnement, si simple sinon primaire, n’est pourtant pas communément partagé. Ainsi peut-on par exemple comparer aisément la réalisation de Tévennec et celle d’Eckmühl, phare de prestige, vitrine à la gloire du génie industriel de la Troisième République. Pour le premier, huisseries et parements en sapin, pour le second, boiseries moulurées de qualité, bronze, opaline, sculptures et dorures. Pour Tévennec l’humble et officielle mise en service qui sied à un modeste feu de chenal, pour l’important phare d’Eckmühl une inauguration en grande pompe avec cortège, pavois et Marseillaise, directeur des phares représentant le ministre, personnages titrés, hauts-de-forme, coiffures empanachées, peuple en liesse. On comprend aisément, cependant, qu’un tel cortège fût impossible pour un phare en mer. Ceci ne fait que renforcer le point de vue selon lequel les ouvrages en mer, compte tenu de leur milieu hostile, ont toujours été conçus en alliant le souci de la résistance et de l’efficacité des matériaux à la préoccupation des solutions mises en œuvre.  Si un certain luxe y a rarement été rendu possible en raison du budget alloué, il s’exprima dans les aménagements intérieurs comme à Kéréon. Mais là aussi s’agissait-il d’un phare dont la renommée fut portée par le prestige de sa bienfaitrice.

Des travaux d’utilitarisme adaptés

En définitive, que penser de Tévennec ? En ce qui concerne sa construction, nous sommes en présence d’une maison-feu classique mais sise là où elle ne devrait pas l’être et qui se retrouve par conséquent soumise depuis presque un siècle et demi à des conditions parfois épouvantables, toujours humides, souvent difficiles. Pour toutes ces raisons ses occupants ont du la déserter précocement. Se dégradant progressivement sous les assauts de la mer elle a reçu certaines réparations et installations uniquement pour les besoins de son service et toujours avec des solutions et matériaux aussi  basiques mais résistants que possible. Si la couverture fut refaite dans les années 60 c’est bien sûr parce que la précédente avait été détruite par la tempête mais surtout parce qu’il était primordial que la bâtisse tînt debout. Ce toit fuit désormais depuis des décennies mais tant qu’il est en place… La couverture protégeant le four à pain, disparue depuis encore plus longtemps, n’a jamais été remplacée. Quelle utilité un four présenterait-il pour la signalisation ? Le muretin de la terrasse est chaque année davantage démoli par la furie des vagues, mais qu’apporte-t-il de plus au service du feu ?

Les choix d’une restauration

Nous glissons là vers la notion de restauration du patrimoine du phare, sujet distinct de la mission de signalisation maritime. S’agit-il de restaurer l’inutile ? La question ne se pose pas, car au fond, l’inutile n’existe pas en matière de patrimoine. Le futile ou l’insignifiant balayés comme tels par une époque se révèlent parfois essentiels plus tard. On a ainsi détruit des dizaines de grands voiliers désarmés après la crise de 1929 et conservé aucun de nos grands vaisseaux de guerre pour de nos jours en reconstruire ou entretenir de rares survivants à grands frais. Les phares eux-mêmes, récemment devenus patrimoine aux yeux de ceux qui il y a si peu n’y pensaient même pas, ont subi de lourdes pertes au cours de ces années pendant lesquelles notre solitude pionnière et militante s’est exercée à les défendre. Il s’en est ainsi fallu de peu que les deux maisons du phare du Stiff, désormais élevées au rang de patrimoine après notre intervention, ne fussent par l’administration à vil prix livrées à la propriété privée.

Certes des choix de conservation peuvent – doivent – être faits assez souvent. Encore faut-il qu’ils soient gouvernés par un esprit non dogmatique et étranger à cette aimable contradiction contemporaine qui pour restaurer un état soi-disant originel utilise des méthodes si justement décriées sous l’ère de régimes forts voire autocrates. Nombre de maisons de gardiens y sont passées. Chacun ses objectifs, chacun sa politique. Les périodes antérieures démontrent que leurs contemporains bâtissaient sans état d’âme ni souci de préservation. Ceux qui osèrent la reconstitution à l’aune d’une historicité parfois contestable, sont désormais panthéonisés. Combien de superbes sanctuaires romans ont-ils été rasés pour faire place au vaisseaux gothiques dont à l’envie nous célébrons les envolées architecturales ? Et quel Paris serait-il patrimonial ? Celui des rues de l’Ancien Régime qui subsistent après le cyclone Haussmann ou celui de la pyramide du Louvre ?

Une modeste maison-phare grandiose

Au final, Tévennec est une modeste maison-phare grandiose. Par son implantation unique dans un environnement époustouflant elle s’est transfigurée en un des hauts lieux du patrimoine des phares pour nous offrir face au grand large sur cet îlot rocheux une l’histoire et une réputation intrinsèquement fortes. Nous sommes en présence d’un emplacement mythique sui generis dont cette maison n’est qu’un des composants parmi tant d’autres dont pêle-mêle, les flots nerveux qui l’entourent, sa terrasse, son appentis au four à pain, sa croix, son escalier de pierre qui y accède, les déferlantes qui l’assaillent, les lumières changeantes qui l’habillent. Tout concourt à cette atmosphère si particulière qui émane des ouvrages en mer, à ce qui en nourrit la quintessence, à cette sourde et envoûtante incongruité qui enveloppe le défi qu’ils incarnent. Ainsi faut-il ressentir leurs intimes composantes avant d’avancer toute proposition pour une restauration raisonnée. Qui ne les a pratiqués ne saurait légitimement s’en prévaloir.

Respecter l’esprit des phares en mer

Dès lors, restaurer Tévennec ne saurait être un exercice de style au service d’une préservation zélée et personnelle, avide de reconstitution idéalisée ignorant l’esprit des phares en mer. Restaurer Tévennec c’est agir dans le fil de son histoire et finalement faire comme l’a toujours fait le service des phares du temps où il était bien obligé de restaurer cet ouvrage indispensable à sa mission régalienne sous peine de le voir disparaître. Restaurer Tévennec c’est privilégier l’efficacité dans les solutions à apporter, tant pour leur mise en œuvre que pour la résistance des matériaux aux intempéries. C’est opter pour ce que la technologie de notre époque peut apporter de mieux adapté au regard de l’ensemble des contingences qu’impose ce milieu. En 2012, sur l’embase du phare de la Jument, du béton projeté sur un treillis à remplacé un pan entier de la muraille d’origine faite de moellons assemblés que la mer avait arraché. Ainsi vont les restaurations efficaces sur les ouvrages en mer. La Jument ne sera classée monument historique que cinq ans plus tard et deux ans après l’inscription de Tévennec.

Alors quel avenir ?

Mais voici que le lecteur impatient souhaite poser la question qui s’impose : ” Que fait la SNPB ? Ne doit-elle pas restaurer Tévennec ? “

La réponse est “oui !”. Voici près de dix ans d’efforts continus qui nous portent au seuil de ce chantier attendu, réfléchi. préparé par des spécialistes. Alors quel avenir ? Il ne manque ni d’espoir, ni de piquant, ni de contradictions puisées dans les profondeurs de décisions absconses. Un futur à découvrir et comprendre dans des articles à suivre, sans exclure de possibles révélations selon son évolution dans le labyrinthe des décisions.

Bonus : Le tour de Tévennec vu du ciel (Images Kwoon/Musique O.Rech)

Notre combat pour Tevennec : pourquoi il faut aider la SNPB

Où en est le projet Tévennec ?

Voici une question récurrente, en tout cas pour celles et ceux qui ont des difficultés à prendre la mesure de ce projet, des obstacles à surmonter et de l’engagement qu’il représente. Un rappel de sa genèse et des conditions qui l’entourent s’impose.

Laissez-les mourir…

A la suite du Grenelle de la mer, au cours duquel il a été demandé à la SNPB de faire part de ses perspectives concernant le patrimoine des phares, le devenir des phares en mer est demeuré une question centrale. Tout à chacun·e ne tarissait pas de qualificatifs dithyrambiques pour louer ce patrimoine unique. Photographes et reportages ne cessaient de puiser leurs productions aussi sensationnelles que lucratives dans la mise en situation de ce patrimoine au sein d’environnements tempétueux tandis que d’autres ne s’interdisaient pas de prôner de “les laisser mourir de leur belle mort”

Rien n’a démontré une volonté d’organiser leur sauvegarde de manière coordonnée et planifiée, hormis leur classement. La logique comptable l’emportant, tout a été dit y compris les pires sophismes, ces raisonnements à l’apparence de vérité mais de mauvaise foi.

Ainsi il a été soi-disant démontré que la restauration du phare d’Ar-Men engloutirait le montant colossal de dix années de l’entier budget des affaires culturelles de la région Bretagne, les laissant orphelines de tous moyens financiers pendant une décade ! Pour mesurer l’artifice de ce paradoxe il convient de relever deux arguments essentiels que l’on s’est gardé d’introduire dans cette démonstration.

Le premier est qu’un tel chantier ne saurait se réaliser en seule année. Acheter une voiture est sans doute faisable. Mais si l’on prétend que cet achat coûtera le montant de tous les véhicules que l’on aura dans sa vie, la propriété de la première voiture devient impossible.  Un tel raisonnement biaisé n’aurait pour dessein que celui de ne jamais permettre l’achat d’une voiture. Cependant l’argument suivant est de loin le plus important pour la SNPB.

Halte à la résignation !

Si nous avons toujours défendu ce patrimoine en tant que patrimoine public, et en particulier milité contre sa vente à la découpe, nous avons de même toujours dénoncé le recours systématique au financement public pour sa sauvegarde. Qui connaît l’état des finances publiques sait qu’en réalité la vraie question est celle du “fléchage” , comme l’on dit,  des crédits. En d’autres termes des financements existent mais ils ne sont pas pour le patrimoine , sinon à la marge, et encore moins pour celui des phares. Faut-il pour autant se résigner en rase campagne à voir inéluctablement disparaitre ce patrimoine maritime exceptionnel ? 

Certes, l’attitude d’un Docteur Tant Pis est plus confortable à tous points de vue et laisse le loisir de ravauder photos et textes répandus pour accoucher autant de livres que possible sur ce sujet si porteur.

En marge de ce propos, il faut rappeler que l’ensemble du patrimoine des phares et balises est potentiellement capable de s’autofinancer en grande partie à la condition expresse que sa gestion soit mutualisée, structurée et coordonnée, ce qui est à l’évidence loin d’être le cas. Une doctrine exposée et défendue par la SNPB depuis près de vingt ans mais qui ne s’accommode guère des baronnies locales…

La priorité pour un patrimoine en difficulté est que sa sauvegarde soit effective, en d’autres termes que les travaux nécessaires soient faits. Mais ces travaux devraient impliquer le moins possible les finances publiques, voire ne rien faire peser sur elles. Un raisonnement que nous nous efforçons d’appliquer pour la restauration de Tévennec mais cette démarche, n’est pas la plus aisée. Tant s’en faut.

Les grands projets requièrent du temps

Hors de tout financement public, il ne reste qu’à recourir aux dons et cotisations, au mécénat des entreprises et au bénévolat. Tous moyens accessibles à une structure associative et favorisés par les dispositions de la loi sur le mécénat du 01 août 2003 prévoyant leur défiscalisation indispensable.

Si le bénévolat est nécessaire, notamment pour l’aide apportée sur place, il trouve cependant ses limites lorsqu’il s’agit de travaux d’importance où professionnalisme et sécurité sont en jeu. Ce qui est souvent le cas pour des chantiers de gros œuvre dans des lieux difficiles, comme à Tévennec. 

Dons et cotisations, défiscalisables aussi, constituent la ressource indispensable aux financements des actions induites par le projet auxquelles il faut faire face. Côté mécénat, une entreprise qui offre son expertise, ses matériaux ou matériels, reçoit comme contreparties une défiscalisation de 60% de la valeur apportée et surtout une belle visibilité de communication pour sa participation à un chantier hors normes ainsi qu’un support médiatique exceptionnel car des travaux sur un phare en mer, menés par une association, constituent un sujet remarquable et spectaculaire pour tous les médias.

Mais c’est autour de cette question du mécénat que la notion de temps intervient. Pourquoi ? Simplement parce que décider une entreprise à apporter son aide ne se fait pas d’un claquement de doigts. Un chef d’entreprise doit être convaincu du sérieux de l’opération, porté par un enthousiasme certain pour le projet, rassuré par la longévité, la notoriété et la légitimité du porteur du projet. Toutes qualités qui ne s’acquièrent qu’avec le temps. 

Après avoir obtenu l’autorisation de s’occuper de Tévennec en 2011, ce n’est que plusieurs années d’efforts et de recherches plus tard, couronnées par le succès de l’opération “Lumière sur Tévennec”, que la SNPB a vu, et ceci seulement depuis deux ans, s’ouvrir les portes d’un mécénat de plus en plus présent. Et si la mécanique est enfin lancée, elle doit être entretenue en permanence et reste fragile car dépendante de nombreux facteurs dont principalement celui du chiffre d’affaires du mécène lui-même. Au cours de ce temps, d’aucun·e·s extérieur·e·s au suivi du projet penseront : “Mais que se passe-t-il enfin pour Tévennec ?”.

Alors voici le point sur la situation.

Les pièces du puzzle pour la réfection du toit de la maison-phare se mettent en place. Une entreprise de couverture est fière d’avoir choisi d’être celle qui fera ce chantier. Le fournisseur des matériaux nécessaires a été approché avec succès et l’enthousiasme est aussi de son côté. Les plans en trois dimensions du phare, intérieur et extérieur, et du rocher, ont été levés en juillet dernier grâce au mécénat très engagé de deux entreprises de Lyon. La mise en forme des données est en cours. Une entreprise de maîtrise d’œuvre spécialisée dans le patrimoine bâti et son architecte sont au chevet de ce futur chantier. Ils préparent le complexe mais nécessaire dossier administratif (plans, permis de construire, autorisations, etc).

D’autres entreprises partenaires sont dans la boucle pour des interventions à venir telles que la maçonnerie, la taille de pierre, les ouvertures, l’énergie, etc. Rendez-vous, contacts, réunions et conférences de présentation du projet se succèdent ici et là en France. Nous espérons une première tranche de travaux pour la belle saison prochaine. Restent les questions cruciales relatives au transport et à divers aspects logistiques. Vous qui lisez ces lignes, si vous pensez pouvoir apporter votre aide en participant à cette aventure, raisonnée mais unique, prenez contact avec la SNPB.

Nous sommes donc désormais très avancés. Nous ne recevons pas de subventions et n’avons pas d’autres aides que les cotisations, les dons, le  mécénat, le bénévolat et par dessus tout la foi en ce projet qui verra la restauration du premier phare en mer. Tout doit être mis en œuvre pour que cette dernière ligne droite aboutisse à cette première tranche de travaux. Avec vous nous ne sommes pas seul·e·s à soutenir cette action concrète en faveur du patrimoine des phares. Nous comptons sur vous pour nous apporter votre aide, quelle qu’elle soit.

A propos des dons : lire l’article

Tévennec toit coté est
Tévennec toit coté est. Photo C.O.I